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PARLER, NOURRIR

PAR EMILIEN CHESNOT

FEVRIER 2017

Un jour, à l’Hôtel Pasteur (ancienne fac dentaire de Rennes), une jeune femme que je ne connaissais pas m’a donné à manger une pomme. J’ai longtemps pensé que mon grand-père avait fait ses études entre ces murs, me disait-elle tout en pelant le fruit. Elle voulait travailler sur la figure familiale depuis plusieurs années. Lorsque l’occasion d’exposer à l’Hôtel Pasteur s’est présentée à elle, naturellement, ses recherches ont épousé les souvenirs

qu’elle avait de l’homme. En cours de route, Anna (le prénom de la jeune femme) a appris que son grand-père n’avait pas étudié là, mais juste en face. Cela ne m’a pas paru important, continuait-elle, et de mon côté je mangeais les tranches de pommes qu’elle me présentait à une fréquence qui, semblait-il, suivait le simple rythme de ses gestes et de sa pensée.

Je me sentais bien. Je me suis tout de même demandé pourquoi Anna prêtait si peu d’attention à cet étonnant pas chassé de la mémoire, intervenu où l’histoire aurait pu prendre, pour moi et à ce stade, tout son sens : invitée à exposer à l’endroit que son grand-père, si fondamental pour elle, avait fréquenté, Anna ne confiait pas son acte au hasard qui avait juxtaposé en un même lieu deux époques lointaines, deux personnes proches. Elle écartait même d’une simple phrase ce qui me paraissait avoir en soi un intérêt exceptionnel. Ce moment mis à part, mon écoute fut tout entier enveloppée par le naturel d’Anna. Jusqu’au moment où elle m’a dit que son grand-père lui était apparu dans un souvenir, la nourrissant de quartiers de pommes pendant qu’il lui parlait. J’ai alors saisi pourquoi Anna n’avait pas l’air si préoccupée du curieux déplacement que les caprices de la mémoire nous font parfois subir.

Elle savait - et moi avec elle, désormais - que l’émotion qui provient du souvenir retrouvé, dégagé de ses contingences et rendu à son actualité par un simple geste, par quelques mots, a le pouvoir de transformer ce simple geste, ces quelques mots, en épaisseur, en chair. La lame de son couteau a encore continué un peu à effeuiller celle de la pomme, puis nous avons discuté. Anna m’avait donné à manger, elle m’avait parlé, elle m’avait fait parler, elle m’avait fait l’écouter. Elle m’avait fait m’écouter.

UN PAISAJE DE IDEAS

PAR MARGARITA CALLE
PUBLIÉ DANS LA TARDE, 5 AVRIL 2014

El arte hace visible lo invisible; transforma en imágenes las ideas sin renunciar a ellas; dota de sentido al mundo dando con ello sentido a nuestra propia existencia. Así lo ha entendido la artista francesa Anna Mermet, quien lo refuerza con obsesión en cada uno de sus proyectos artísticos: “Veintitrés kilos” en compañía de la bailarina y coreógrafa Stéphanie Parent; “Desplegar el libroo “4.8 km, images de pensée”, presentado en la Sala de la Alianza Francesa de Pereira, en la última versión de Corto Circuito. Y hablo de obsesión porque esa es la palabra que mejor describe el gesto repetitivo, cuantificable y acumulativo que despliega Anna en cada acción. Gracias a esta fijación reiterada en las ideas, la palabra poética, el texto literario, sus visiones de la cotidianidad, los sonidos del paisaje, las percepciones del entorno, sus gestos e interacciones emergen y toman forma en singulares paisajes visuales.

Precisamente eso es “4,8 km, images de pensée”: una poética del entorno en la que, en principio, aparecen comprometidas la palabra y el gesto, es decir, la idea y el cuerpo. La obra la configuran 4,8 kilómetros de papel de 6 centímetros de ancho (específicamente el papel usado para las máquinas registradoras), marcado por escrituras gestuales y expresivas. Durante un mes la artista escribió con grafito, sobre la esta estrecha y frágil línea de papel, fragmentos de obras literarias, poemas y percepciones compartidas sobre su propia experiencia de habitar un espacio, de recorrer diariamente los 4,8 kilómetros de distancia que separan su lugar de residencia habitual, del lugar de residencia transitorio, en el centro de Pereira. En su acción performativa y escritural, Anna Mermet nos ralentiza el tiempo, nos demarca un tránsito, un recorrido que, más que físico, es mental. “Un recorrido de introspección hecho de recuerdos íntimos y literarios”, como señala la artista, que gracias al proceso creativo desplegado en su materialización, “se mezclan para formar una tela compleja y movediza”. Y es, justamente, en la disposición que esa “tela movediza” logra en la sala de exposiciones, donde emerge ese otro paisaje: ese en el que se condensa “materia y gesto”, haciendo visible, aquello que de otra manera seguiría velado. Alguna vez le oí decir a Umberto Eco que en la creación no hay tiempos muertos, y aquí tenemos un ejemplo más para afianzar esa particular característica de la creación, pues las obras de Anna Mermet se gestan en el devenir, en el nomadismo que la apasiona, en las lógicas contradictorias que regulan nuestra existencia y que, en casos como este pueden aflorar como acciones estéticas o artísticas.

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